Cette année, comme les autres années, j’ai été invité chez les Chantal pour fêter les Rois. On se mit à table. Au dessert, on apporta le gâteau des Rois. Chaque année, M. Chantal était roi et il proclamait reine Madame Chantal.
Pendant le dessert j’ai senti quelque chose de dur qui faillit me casser une dent.
Je pris doucement cet objet de ma bouche et j’aperçus une petite poupée de porcelaine, plus grosse qu’un haricot. On me regarda, et Chantal s’écria en battant les mains : «C’est Gaston, c’est Gaston! Vive le Roi!»
Tout le monde répéta en choeur: «Vive le Roi! Vive le Roi!»
Je rougis jusqu’aux oreilles, comme on rougit souvent dans des situations un peu sottes. Je restai les yeux baissés, tenant entre deux doigts cette petite poupée, ne sachant que faire ni que dire. Chantal recommença : « Maintenant il faut choisir une reine ».
Alors, je fus atterré. En une seconde, mille pensées me traversèrent l’esprit. Voulait-on me faire désigner une des demoiselles Chantal ?
Mais tout à coup, j’eus une idée : je tendis à Mademoiselle Perle la poupée symbolique. D’abord, tout le monde fut surpris, puis on apprécia ma délicatesse et on applaudit longuement. On criait: «Vive la Reine! Vive la Reine!»
Quant à elle, la pauvre vieille fille, elle dit en tremblant : «Mais non..., mais non ..., mais non..., pas moi ..., pas moi ..., je vous en prie, pas moi..., je vous en prie ».
Alors, pour la première fois de ma vie, je regardai Mlle Perle : Quel âge avait-elle ? Quarante ans ? Oui, quarante ans.
On servait du champagne. Je tendis mon verre à la Reine, en portant à sa santé avec des compliments. Tout le monde cria: « La Reine boit! La Reine boit! ».
Elle devint alors toute rouge.